Ce qu'il faut savoir du « Ndeup » ou séance d’exorcisme, quand les prêtresses traquent les démons.

Cérémonie d’exorcisme chez les « Lébous », le « Ndeup » reflète un attachement aux valeurs traditionnelles. Chez feue Mame Fatou Seck, la grande prêtresse de Rufisque, cette pratique continue toujours de faire des miracles. Une question de croyance certes, mais une cérémonie qui, jusque-là, garde ses mystères et ses secrets qui se transmettent de génération en génération. Focus sur une pratique bien de chez nous.
La grande maison familiale de feue Mame Fatou Seck, la prêtresse réputée de Rufisque accueille du monde presque tous les jours. Cette demeure dégage une atmosphère un peu particulière. Des chaises rangées en désordre, des bols vides dispersés un peu partout, des mouches qui perturbent la solennité des lieux… Voila à peu près le décor, qui ne semble point gêner un groupe de femmes habillées en tenues traditionnelles vivement colorées. Parmi elles, se distingue Yaye Leuk, la fille ainée d’Adji Fatou Seck. Elle a hérité, avec sa sœur Adji Woulimata Diop, des secrets du « Ndeup », une cérémonie d’exorcisme à dessein thérapeutique et qui se transmet de génération en génération chez les Lébous, une « ethnie » essentiellement originaire de la presqu’île du Cap-Vert. La patiente du jour est une dame d’une quarantaine, d’années qui vivait depuis longtemps en Europe. Selon Yaye Leuk, de son vrai nom Seynabou Diagne, elle était internée dans un hôpital psychiatrique, du fait de troubles mentaux. La folie : une interprétation à l’européenne, que rejette catégoriquement la prêtresse. « Elle était seulement sous le contrôle des djinns malveillants » explique-telle. Pour purifier l’âme et l’esprit de cette dame, afin qu’elle retrouve ses facultés mentales, la famille de Mame Fatou Seck prépare la grande cérémonie de « Ndeup ». « J’ai consulté les cauris car c’est la première chose à faire. Après, c’est au tour du djinn protecteur de réclamer ce qu’il veut pour assurer la guérison. Un coq, un mouton ou un bœuf, tout dépendra de ses choix », explique Adji Woulimata Diop. Un coup d’œil au gros bœuf blanc attaché sur l’arbre au milieu de la maison, nous fait penser que le djinn protecteur a déjà fait son choix. Certainement à la dimension de l’emprise des esprits malfaisants sur la patiente du jour. Lors de cette cérémonie thérapeutique, la patiente, doit verser du sang de bœuf, chanter et danser afin de chasser les mauvais esprits. Tout un ensemble de pratiques qui doit se faire sous la direction de Yaye Leuk. En fait, le « Ndeup » est une pratique qui consiste à purifier l’âme et l’esprit d’une personne pour la protéger des djinns malveillants. Une cérémonie non pas folklorique, mais qui répond à un besoin de protection et qui a pour base le mysticisme. Génie protecteur Tout, dans cette cérémonie, revêt une signification : les danses, le mil, les battements de tambour, les litanies prononcées, entre autres. D’ailleurs, c’est dans une ambiance indescriptible que la maison de Mame Fatou Seck ouvre ses portes. En fait, une petite promenade dans le quartier est la première étape de la cérémonie. Habillée d’une tunique blanche, d’un bonnet et de babouches de même couleur, la patiente a l’air absent. On dirait qu’elle est emportée par la belle mélodie des percussions. Bizarrement, elle tourne les yeux, regarde les gens autour d’elle et sourit chaque que fois le tambour- major change de tempo. Les gris-gris attachés autour des reins et de la tête la rendent encore plus drôle. C’est à se demander même, si elle est lucide. Les accompagnatrices chantent et assurent l’animation, mais veillent aussi sur cette dame un peu perdue. De peur qu’elle dérape, ou qu’elle tombe en transe. Les prêtresses en herbe, se constituent en vrai body-gards ! « C’est le génie protecteur qui exige que la malade fasse un tour du quartier. C’est aussi pour faire plaisir à ce génie, que l’on chante et danse. Cependant, nous surveillons la dame car elle peut se sentir un peu déboussolée. Nous la guidons, en quelque sorte », chuchote Ndéye Khady Mbengue, une des membres de la procession. Le groupe traine les pieds, sous le regard admiratif des habitants. Certains même se mêlent au cortège qui grossit peu à peu et assurent les chœurs à la grande surprise des novices. Mais, apparemment ce ne sont pas les populations de ce quartier de Thiawlène Digue, encore moins leurs enfants, qui se joignent à la bande dansante et chantante. « Les habitants ont l’habitude de voir ça presque toutes les semaines. Nous sommes des Lébous et le Ndeup fait partie de nous. Ici à Rufisque, presque tout le monde connait cette cérémonie », renchérit Yacine Sarr, une des dames du cortège. Rituel de purification Lorsqu’après la procession a fini son tour du quartier et est revenue à la grande maison, le bœuf était toujours là, attendant tranquillement le sort qu’il ne connait pas. Les invités et curieux forment un grand cercle et Yaye Leuk, assure les derniers réglages avant d’entamer le rituel de la purification. Tout d’abord, l’animal est attaché au milieu du cercle, prêt à être enjambé sept fois par la patiente. En fait, cette pratique sert à conjurer le mauvais sort car parfois, la personne peut être victime de maraboutage. « C’est la partie la plus importante de la cérémonie. La dame doit enjamber 7 fois le bœuf. Si elle est maraboutée, nous allons le savoir à travers ce que nous découvrirons dans l’estomac de l’animal » explique la prêtresse. C’est toujours, sous le rythme cadencé des tam-tams que la patiente applique le rituel à la lettre. Seulement, elle manque de concentration et transpire beaucoup. Son sourire cache mal ses inquiétudes. Le grand saut terminé, la prêtresse invite la patiente à s’asseoir sur l’animal avant d’être enveloppée de cinq pagnes traditionnels. Quatre autres pagnes plus petits sont rajoutés, en plus d’un grand tissu de percale blanc. Le tout, est soutenu par des gris-gris lourds qu’on pose sur sa tête. Le bœuf, un élément clé de la cérémonie Assise sur le bœuf, la dame est enveloppée de nombreux pagnes traditionnels. La prêtresse entame alors, avec ses accompagnatrices, une série de chants. Elles font des tours, chantant, dansant le « ndawrabine », une chorégraphie aux mouvements saccadés… La malade, quant à elle, frôle la transe. « Sous les draps, elle voit les djinns protecteurs. C’est étouffant certes, mais il n’y a aucun risque », fait savoir Yacine Sarr. La prêtresse a d’ailleurs pris le temps de revisiter tout son répertoire pour faire plaisir aux djinns. Après 15 minutes de prestation, les pagnes sont secoués un à un pour chasser les mauvais esprits. Pendant ce temps, la patiente est carrément dans les vaps. Elle danse et saute comme si elle avait vu le diable en personne. Cependant, en demandant si la souffrance du bœuf va être allégée, la prêtresse feint de ne pas entendre cette « petite » remarque. En effet, elle fait signe de la main à un homme qui ouvre la bouche de l’animal. « La dame doit faire tous ses vœux maintenant, de même que ses parents. C’est la dernière étape avant que le bœuf ne soit tué », explique-t-elle. C’est peut-être la partie préférée des proches, car les candidates étaient nombreuses à faire la queue. Puis, un œuf est écrasé sur la tête du bœuf, un sur son dos et un autre sur ses pattes et la patiente prend encore place sur le ventre de l’animal. Enfin, Yaye Leuk ordonne qu’on tue le bœuf. Son sang est aspergé sur le visage de la dame qui affiche un large sourire, surement satisfaite que les choses se terminent bien. La tête de l’animal, ses pattes et une partie de son sang seront servies aux djinns protecteurs, qui sont nombreux, selon Yaye Leuk : « Mame Coumba Lamb, Mame Ngor, Mame Waly, Matouly Faye, Mame Ndiarré, Leuk Darou sont des djinns protecteurs bien connus au Sénégal ! », explique-t-elle. Epuisée, la prêtresse continuera le traitement en collaboration avec des marabouts plus particulièrement les « Saltigués » pendant des jours, afin que la dame retrouve définitivement la santé. Même si la cérémonie coûte très cher, le jeu en vaut la chandelle. Car, encore une fois, le Ndeup, méthode ancestrale de guérison, continue de faire ses preuves. Et en milieu « Lébou », ce rituel millénaire n’est pas près de se perdre. Ce n’est pas cette dame revenue d’Europe, avec des troubles mentaux, et déjà au bout de la première séance, devait sentir quelque amélioration, qui dira le contraire. Adji Woulimata Diop, l’exorciste de Thiawlène. Adji Woulimata Diop, la fille de feue Adja Fatou Seck, la grande prêtresse, est très célèbre dans la communauté léboue, particulièrement à Rufisque dans le fameux quartier de Thiawlène Digue. Elle a hérité de sa mère tous les secrets du « Ndeup » et exerce son rôle de prêtresse depuis la mort de sa mère. Selon elle, tout a commencé par un rêve qui a changé à jamais le cours de sa vie. Une noirceur d’ébène, les traits très nets, le regard profond, Adji Woulimata Diop se distingue du groupe de femmes de par sa grâce et son élégance. La fille de feue Mame Fatou Seck, la prêtresse léboue se déplace dans la grande maison familiale de Thiawlène Digue à Rufisque, comme une reine en son palais. Cette héritière de la tradition du « Ndeup » n’était pourtant pas prédestinée à devenir prêtresse. Woulimata Diop était « une jeune fille joviale, pleine de vie et toujours prête à faire les courses pour sa mère ». Mais une nuit, elle fait un rêve qui n’était pas très banal. « J’ai des grandes sœurs qui sont décédées avant ma naissance, raison pour laquelle ma mère tenait à moi comme à la prunelle de ses yeux. J’étais sa petite fille chérie. Mais un jour, j’ai fait un rêve qui a changé le cours de ma vie » explique-t-elle avec un air lointain. Elle explique qu’elle a vu, en rêve, un bœuf qui le poursuivait partout comme pour l’effrayer. « J’étais en sueur à mon réveil, mais je ne voulais rien dire à ma mère. Seulement, le lendemain, j’ai fait encore le même rêve et j’ai eu peur », raconte celle qui est aujourd’hui devenue prêtresse. Elle est ensuite tombée gravement malade, juste deux jours après ces rêves. C’est là que commence sa galère car elle ne pouvait plus bouger du lit. Sa maman Adja Fatou Seck faisait à l’époque le tour des guérisseurs pour soigner sa fille presque paralysée. « Partout où elle m’amenait, on lui disait qu’elle devait tuer un bœuf pour moi, pour faire plaisir au génie protecteur Mame Coumba Lamb ». C’est là que Mame Fatou Seck a compris que sa fille ne pourrait pas échapper à l’ordre préétablie par les ancêtres. « Pour ma guérison, ma mère a organisé une cérémonie de Ndeup. Elle a tué un bœuf, et a fait tout le rituel. Et après, j’ai commencé à l’accompagner partout où elle devait exercer son art. J’étais sa stagiaire et je parvenais à tout mémoriser sur son passage », se rappelle-t-elle. Après des années d’apprentissage, Adja Woulimata Diop était donc prête à prendre la relève. Sa mère lui avait transmis tous les secrets du « Ndeup ». D’ailleurs, c’est devant toute l’assemblée des prêtresses que Mame Fatou Seck a remis tous les gris-gris et tenues traditionnelles qu’elle portait à sa fille. « Ma mère était épuisée et malade. Elle n’avait plus la force de continuer ce travail. Mais heureusement que j’étais là pour prendre la relève. Elle m’a tout légué devant l’assemblée. C’est ainsi que je suis devenue une prêtresse. Mais parfois, elle se déplaçait pour venir assister aux cérémonies que je dirigeais ». Deux ans plus tard, Mame Fatou Seck décédait, laissant derrière elle une héritière digne de poursuivre son œuvre. Cela fait aujourd’hui 25 ans qu’Adja Woulimata Diop exerce son métier de guérisseuse et s’est faite un nom dans le milieu. Fière d’être l’héritière de feue Adja Fatou Seck, elle a un emploi du temps surchargé. « Je n’officie pas seulement qu’à Rufisque. On réclame mes services partout dans le Sénégal, c’est pourquoi je reste rarement sur place ». Selon Adja Woulimata Diop, le « Ndeup », est une tradition bien de chez nous. « Nos ancêtres ne connaissaient pas les hôpitaux, ni la médecine moderne. Ils se référaient donc aux croyances mystiques et aux pratiques traditionnelles pour se soigner ». De ce fait, la prêtresse est fière de perpétrer cette pratique séculaire. Pourtant, malgré les influences du modernisme, ce rituel d’exorcisme et de guérison est toujours en vigueur dans la communauté léboue. « En effet, les jeunes attachent une grande importance à ce rite. Je compte le transmettre à mes fils, comme ma mère l’a fait pour moi ». Mais pour l’instant, Adja Woulimata Diop qui est allée à deux reprises à La Mecque compte poursuivre sa mission et perpétuer le legs des anciens.