La force de l´amour (7)
La force de l’amour, septième partie. Une chronique de Nabou sur Seytoo.
Un matin, monsieur Kwara appela lui-même Karim, et lui ordonna de se rendre dans son bureau. Le ton menaçant avec lequel son supérieur s’était adressé avec lui ne laissa rien présager de bon à Karim. Depuis quelques temps, il l’évitait. Exaspéré par ses regards concupiscents et ses nombreux compliments sur son habillement et son physique, il avait décidé de se tenir loin de lui aussi souvent que possible. Dès que Karim pénétra dans le bureau, son directeur l’apostropha et lui dit brusquement ses quatre vérités. Il l’accusa de fautes imaginaires, juste pour parvenir à ses fins. (L’HARCELLEMENT DANS LES LIEUX DE TRAVAIL WARNA GNOU SI WAKH TCHIPPP). Karim mourait d’envie de prendre le gros dégoûtant au collet et de lui donner un violent coup de poing dans l’estomac pour l’obliger à rendre les vices dont il est bourré. Lui, Karim Diouf, dans les bras d’un autre homme ! Il ne manquait plus que cela ! De surcroît au moment où il avait mis le holà à ses innombrables relations galantes et aspirait à une vie propre et saine. S’il n’arrivait pas à assumer ses fonctions, et que des conseils se révélaient indispensables, il s’adresserait à un cabinet. Même si M. Kwara était, et il fallait lui reconnaître ce mérite, l’un des meilleurs managers de la place. Le groupe Librairie Mondiale l’avait, paraît-il, arraché à son précédent employeur à coups de millions. Sans doute les valait-il, car en un rien de temps, il avait révolutionné la firme, élargi son champ d’action. Les chiffres d’affaires avaient grimpé sous la houlette. Doué d’un excellent flair financier, Papetiers et Libraires étaient son idée. Avec un homme d’une telle étoffe, on ne pouvait qu’être à bonne école, mais Karim n’était pas dupe, pour l’instant, M. Kwara lui cherchait la petite bête avec des intentions précises. Quand Karim quitta son directeur, il se rendit chez le client dont ce dernier s’était prévalu pour lui adressé un sermon de mauvais aloi. Il récupéra la première partie du règlement, un chèque de deux millions, le reliquat étant payable à trente jours fin de mois. Ensuite, il mit le cap sur Livrise. Il avait des cartes postales humoristiques à présenter au gérant et devait lui fournir les codes produits lui permettant de passer commande. « J’espère que Laye n’est pas allé déjeuner très loin ? », pensa-t-il en consultant sa montre. Sa visite n’était pas que professionnelle. Il avait besoin de parler à quelqu’un. Ses rapports avec son supérieur prenaient une tournure qui ne lui plaisait pas du tout. Et leurs relations pouvaient passer de mal en pis. Ce fut avec soulagement et une joie manifeste que Karim vit son ami. Laye était en compagnie d’une jeune femme dans l’espace d’échange littéraire attenant à la Librairie. Ils étaient attablés devant un plat d’aspect appétissant. -Tiens, Don Rimka, c’est toi ? lança Laye aussi loin qu’il vit son ami. Tu tombes à pic, aller, « gnewal togue», vite viens t’installer ! « gnogui dogua tambali » ! je me demandais justement si à deux, nous viendrions à bout de ce gigantesque plat de « thiébou dieun ». Tu n’as rien à craindre, c’est fait maison, c’est Nafi qui me fait de temps à autre de ces surprises-là ! Karim ne tarissait pas, visiblement heureux de voir son ami. La chaleur de l’accueil mit du baume au cœur de Karim. Il constata avec soulagement qu’il y avait encore des natures altruistes, spontanément aimables, sans arrière-pensées qu’il faisait bon fréquenter. -J’oubliais, Karim, « sokhnasa guini » Nafi ; Nafi, « sa dieukeur la » Karim ! Vous vous connaissez déjà parfaitement, sans vous être encore jamais rencontrés ! Ça, c’est tout moi ! Enfin, vous avez l’occasion de vous serrer la main ! -« nagua deff », Karim ? S’enquit Nafi -« maguifi rek », Nafi ! Beaucoup mieux qu’il y a une heure. J’étais tellement irrité en quittant mon directeur. -Il en a encore après toi ? Fit Laye qui connaissait le sujet. S’il a vraiment jeté son dévolu sur toi, tu n’es pas au bout de tes peines, mon vieux. Fais gaffe, il peut briser ta carrière, il l’a déjà fait avec d’autres. Malgré ses vices, il est beaucoup plus utile à la firme que toi. -Tu sais, mon patron est au courant de ses tendances ? Un jour il y a fait allusion en ma présence, et m’a demandé si je le savais. -Ah bon ? Et qu’as-tu répondu ? demanda Nafi, la curiosité piquée. -Que je n’en savais rien ! Je n’allais pas sauter sur l’occasion pour déballer tout ce que je sais sur ce dossier. C’est toujours très gênant de causer de ces choses-là avec les patrons ! -Certains de nos frères ne savent prendre de l’Occident que ce qu’il a de plus vil. Ce n’est peut-être pas sa faute, avec son prénom pareil, il ne pouvait pas échapper à un tel destin : « Té-dy », épela Nafi en faisant une moue. -Penses-tu ? C’est le prénom qui ne lui a pas échappé ! Il s’appelait Louis ! Informa Laye. -Il aurait sans doute préféré « Elle » ! lança Karim LOL Tous les trois rirent de bon cœur, puis avec un geste de menace, Nafi interpella Laye : -Dis-moi un peu, chéri ; comment es-tu au courant de toutes ces choses ? Si d’avantage j’apprenais que tu as un quelconque commerce avec cet homme, je te castre et je t’étrangle ! Fit-elle en agissant d’un index menaçant sous les yeux du jeune homme. -Tu oublies que j’ai fait mon stage à la Librairie Mondiale. Dans les coulisses et pendant les heures de pauses, les langues se délient facilement et le nom Teddy revient dans toutes les conversations. En général, ce sont les filles qui fouinent dans sa vie qui font découvertes. J’ai une amie qui était follement amoureuse de Teddy du temps où il était directeur commercial dans une autre entreprise. Quand elle a en vain tenté de le séduire, elle l’a suivi et a fini par rencontrer la fille qui allait devenir la mère de sa fille. Elle s’est liée d’amitié avec celui-ci pour savoir comment charmer cet homme. Et là, ce qu’elle a appris ne peut pas être raconté. -« wakhal rek après gnou hame sougnou halate si mbirmi », invita Nafi. -« dagua deugn koumpa nak », trop curieuse, lui répondit Laye en adressant un clin d’œil d’intelligence à Karim. Il savait que Nafi ne le lâcherait pas tant qu’il n’aurait pas vidé son sac. -chéri « hanna dognou bayé ni wakhal dou yako commencé », tu ne peux pas nous laisser sur notre faim maintenant que tu nos as mis l’eau à la bouche. -Te laisser sur ta faim, Karim n’est pas intéressé bébé ! Rectifia Laye. Nafi fit mine de couvrir le plat. -O.K ! Ce que femme veut, Dieu le veut. Mais je n’ai pas les détails ; je sais seulement que Teddy arrivait chez la jeune femme avec son amant du moment et tous les trois passaient la nuit ensemble ! -C’est moche et dégoûtant ! Et elle acceptait une telle humiliation ! S’indigna Nafi.